QUATRIÈME DE COUVERTURE:
Pour quelques-uns d'entre nous, les soirées Mot de Passe, dont le Takeout est la trace, sont le signe d'une éclaircie ; l'ouverture peut-elle être élargie, et faille, devenir brèche? la première syllabe de notre expression?* Nous ne savons pas, nous l'espérons seulement. Quatrième adresse Takeout, et d'importance, car elle prend allure de voie, et commune; cette rencontre marque nos pas et, de quelque façon, nous précède. Takeout, donc, cela comme un rapport de recherches, offre de traces, aux concernés, curieux, égarés, flâneurs même; étant de toutes dérives, ce recueil s'ouvre à tous les accueils (y comprit le bac vert), il n'a nul lieu d'arrivée précis, c'est un écart et partie d'une amorce.
* Aux derniers flâneurs: forcer l'époque à dire son nom.
Quelques extraits:
CE QU'IL RESTE EN NOUS D'HUMAIN
ROBBERT FORTIN
Soigne-toi prépare ta chute
dehors le spleen t’aspire
avec le nom des oiseaux
des arbres siphonnent l’effet de serre
le désert fait fondre les glaciers
tu voudrais de la beauté où il n’y en plus
ce qui t’a fait léger le vent l’a incendié
tu es jeune et souple
tu t’offres entier à l’alchimie de l’aube
tu écris tout sur des bouts de papier
quelques blessures les mots
que tu caches dans ta main
tu étends tes voyages à l’échelle du monde
tu surplombes la lenteur par dessus les questions
petit collier de chien manque à tes dragons
ta liberté se complique
dois-tu éclaircir le trop d’exceptions
que tu as griffonnées dans la marge
le soleil crâne dans ton poing
à la rose tu réponds : provoque
la durée lumineuse de la chance
tu lances les dés sur l’herbe
avec cette espérance accessoire qu’ont les visages
des gens qui quantifient leur chance
tu vois ce qui reste en nous d’humain
il faut que tu t’y fasses
en tenant compte de l’impensable
et des secondes vidées de sens
MATIN
VIRGINIE BEAUREGARD-DYOTTE
soirs
Celui qui souffle entre mes doigts
Ne se présente pas en accéléré
Le matin qui naît dans les parcs tranquilles
Se mange par les pores
Et se dévore par la veste trouée
Et son corps le soleil
NON VENDUS
IDEM.
Les décors invisibles
Continents sablés ou jardins enchantés
À la cime de nos yeux
Comme vanitas et voluptas non vendues
Les chiens aboient la caravane passe
(SANS TITRE)
ARTÉMIDE
Tu cris fort pour te faire entendre
Pour affronter l’angoisse de n’être pas entendu
L’angoisse de n’avoir rien à dire
Tu rimes, tu bouges et tu t’excites
Et déjà tu ne respires plus
Le sol a disparu et tu cherches tes pieds
Tout s’effondre et tu t’écroules face à toi dans les autres
Dans les eaux troubles tu es à présent
Tes cris sont devenus murmures
Au fond de l’odeur de tes mots
Que tu frottes les uns aux autres
Pour attirer tous ces regards
Qui se détournent de ta honte et de ta nudité
Nudité, ça aussi ça rime
Ça rime avec nul
Celui que les mouches enculent pour qu’il se taise un peu, pour qu’il se baisse à la hauteur de ses mains et qu’avec elles enfin il apprenne à parler pour retrouver ses pieds.
(SANS TITRE)
RODNEY JEAN-NOËL
Disons que l'heur, en ce moment, est une tourelle de la mémoire
Redécouvrant l'homme en son sens
Couleur d'essaims et de chevaux, la pluie venant au soir, un songe
ET PUIS...
YVON JEAN
Allez donc voir si…et puis…
Après seulement, peut-être, alors…
Maintenant plus rien, cependant l’ennui
Mortifère, insinue, désuni, très à tort
Entrouvez-vous me disais-je, contre nous
Inaltéré, déconfit, attristable de toi
Pantelante, dépoussiérée, tu t’en floue
Exaltée, maniérante, je t’en crois
Finalisez-moi, adoptez-vous, débranchez-y
N’en arrière ne regardant pourtant puis plu
Autre que spectrale de nous, sidérante envie
De vie, de tout, et puis, n’a plu, ne pu,
Et puis…
MONTRÉAL L'ÉTÉ
SAMUEL GÉLINAS
Jungle de béton dans l’été truffé de fleurs
Montréal est presque aussi chaude que ses filles
La transpiration trempe les peaux en profondeur
Découpant les formes que tes vêtements déshabillent
Comme en apesanteur la brise par corridors
Traverse les terrasses sans laisser de facture
Le temps décidément n’est pas de l’argent mais de l’or
Et le bien c’est la vie, travailler c’est trop dur
Au théâtre une sorte de vertige sublime
Récemment s’est emparée de ma chair sans destin
Au cinéma bientôt je choirai dans l’abîme
Papillonnant de ta bouche aux flocons cristallins
[…]
Néanmoins si je me sens faiblir quelquefois
L’urbanité mouvante mate le ressentiment
Sa multitude humaine relève les maladroits,
Les invitant sans reproche à repartir chercher du vent
Dans l’œil du tourbillon
De plein fouet fécond
Reconnaître Montréal
Qui n’est jamais la même
Dans l’œil de son tourbillon
De plein fouet fécond
Citoyens d’un monde en mal
De calmes chrysanthèmes
Reconnaissez Montréal
Qui n’est jamais la même!
[…]
CHAT GRAIN DE SABLE
extrait de Chien Kamikaze
FRANÇOIS GOURD
Envoie l’homme singe, on s’envole au-dessus du nid de coucous…Le bonheur est parfois si banal. Cocaïne, ma jolie putain, tu te vends beaucoup trop cher. Ta beauté simple se cache-t-elle derrière un masque de porcelaine ? Tes seins sont-ils plein de lait en poudre blanc ?… .L’homme violeur court au loin dans le fond de son miroir. Et l’homme très doux sans préjugé est abattu sur le pavé…La bouche pleine de sable, mon corps se faufile sur la plage. Pleine lune de miel que j’avale sans souci. Le singe était en amour avec la princesse parce qu’elle portait un collier de bananes…Les forces de l’ordre me visitent et me livrent le message du gros Jean bon maire de l’île aux fesses de mon cul. Dans ce monde de bungalow, mon îlot de beauté coule à pic dans les gosiers des assoiffés du pouvoir…Mon jello cérébral se cramponne à son abîme imaginaire.
La cruauté ne me fait plus peur. La mort ne me fait plus peur… Longeant les couloirs de l’incertitude, je pleure sans être triste. Je survis tant bien que mal. Et chaque matin, vêtu de rose et de paillettes, je pars à la conquête de mon espace vital. Je veux rire au lieu de prier. Je veux faire rire au lieu de prêcher.
PAR REFUS DE CASSER AU FROID
ROBBERT FORTIN
Tu entres dans tes batailles
par refus de casser au froid
tu ressembles aux oiseaux maladroits
albatros vite rejoints pâtures
il ne fait pas très bon dans tes gestes
pour peu tu courrais derrière toi
pour rattraper les choses éteintes dans ta voix
les petits restants d’essentiel
qui reconnaissaient ton visage
comme une couleur d’enfance
dans la farine des jours
à ce point si pressé
tu remplacerais cet ingénu parti avec tes rêves
devant ton miroir
(SANS TITRE)
RODNEY JEAN-NOËL
Juste vie – verres de vin
-verres d’eau
des musiques qu’on n’écoute pas seul
SOIR CENT HEURES, fragments
RAPHAËL GASPARD
égratigne moi encore
la fenêtre avec une goutte
sans triturer la musique
coquillages sonores
où s’arrêtent six chevaux débiles
qui tournent entre tes seins
'
au coin d’une route
je l’ai gardé pour toi
ton absence étincelle
les yeux comme miroirs d’astres
'
avec du temps pour les pierres
j’avale sur ta bouche l’hiver
au coin une rue bitume bleu
souffle la pluie et trottoir
entre nos caresses
'
rajoute trace de jazz
à New York everything
la brousse des plantations
à une amérique qui s’ouvre les lignes droites
loin des big bands
souffle le passage de l’oiseau
un bruit qui saigne déjà
(SANS TITRE)
ARTÉMIDE
Ce n’est pas de la solitude que provient le sentiment d’être ensemble, mais l’inverse. Ensemble non seulement entre nous, mais également ensemble avec le monde, ensemble avec tout ce qui existe.
C’est ensemble que les choses se font, y compris l’art,
y compris la poésie.
Nous en avons fini avec le temps du poète isolé.
Nous en avions déjà fini avec le temps de la toute puissance de la Nature, également fini avec la toute puissance de Dieu et la toute puissance de l’Homme. A présent, nous en avons fini avec la toute puissance des machines : place à la poésie. Place à la toute puissance du monde en tant que tel, place à tout ce qui continue à venir.
Nous sommes encore et toujours prêts à prendre soin de tout ce qui devient en devenant et de tout de ce qui revient en devenant.
Nous sommes prêts à rendre au monde ce que nous lui devons, nous sommes prêts à mourir à nouveau si nous l’avons déjà été, nous sommes prêts à mourir en guise de symbole.
APPEL DE OCTOBRE
LE MALIN
Les poëtes qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête du verbe poétique, ont formé un gouvernement.
Ce gouvernement, alléguant la défaite de notre Verbe, s’est mis en rapport avec l’Ennemi pour cesser le combat.
Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force nantie, insensible et sournoise de l’Ennemi.
Infiniment plus que leur nombre, ce sont les excès, l’établissement, l’acharnement des médiocres qui nous font reculer. Ce sont les excès, l’établissement, l’acharnement des médiocres qui ont surpris les poëtes au point de les amener là où ils sont aujourd’hui.
Mais le dernier mot est-il dit? L’espérance doit-elle disparaître? La défaite est-elle définitive? Non! Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n’est perdu pour la Poésie. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.
Car la Poésie n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’Empire artistique qui tient la mer et continue le combat. Elle peut, comme la Culture, utiliser l’immense industrie des Médias.
Cette guerre n’est pas limitée au territoire de notre pays. Cette guerre n’est pas tranchée par la bataille du rap, par la bataille du slam, par la bataille de l’oralité, de l'imprimé, que des débuts déjà passés. Cette guerre oppose les artistes aux sournois d’entre eux, à leur ressentiment. Cette guerre est une guerre mondiale. Musiciens, danseurs, peintres, tous, avant de vivre, doivent survivre. Cependant que toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n’empêchent pas qu’il y a, dans l’univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour l’Ennemi. Foudroyés aujourd’hui par la force médiatique, nous pourrons vaincre dans l’avenir par une force médiatique supérieure, nouvelle.
Le destin du monde est là.
Moi, Son Excellence le Malin, actuellement à Montréal, j’invite les éditeurs et les écrivains poétiques qui se trouvent en territoire artistique ou qui viendraient à s’y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j’invite les enseignants et les critiques spécialistes des industries d’armement qui se trouvent en territoire artistique ou qui viendrait à s’y trouver, à se mettre en rapport avec la Création plus qu’avec les autres.
Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance poétique ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas. La Poésie a perdu une bataille ! Mais la Poésie n’a pas perdu la guerre !
Des gouvernements de rencontre ont pu capituler, cédant à la panique, oubliant l’honneur, livrant l’art à la servitude de peu d’ambition. Cependant, rien n’est perdu !
Rien n’est perdu, parce que cette guerre est une guerre mondiale. La Poésie n’est pas moribonde mais avariée. Dans l’univers libre, des forces immenses n’ont pas encore donné. Un jour ces forces écraseront l’Ennemi. Il faut que la Poésie, ce jour-là, soit présente à la Victoire. Alors, elle retrouvera sa liberté et sa grandeur, lavée des coups bas, des hypocrisies, des pillages. Tel est mon but, mon seul but !
Voilà pourquoi je convie tous les poëtes, où qu’ils se trouvent, à s’unir à moi dans l’action, dans le sacrifice et dans l’espérance. Il n’y a que l’œuvre qui est une action propre à la vie. Créez dans le maquis et prenez ensuite les rues, les routes d’assaut et les stands à hot dog.
Notre art est en péril de Mort. Luttons tous pour le sauver !
Vive la POÉSIE !
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